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ÉDITIONS TANIBIS

Diffusion/Distribution

LES BELLES LETTRES

Graphic' et de broc

Nos livres et affiches sont exposés en compagnie des productions d'autres petits éditeurs, sérigraphes et artistes au GRAPHI'BROC, le marché de Noël du Bistro fait sa Broc'.

Ouverture du mardi au vendredi de 13 à 19 heures, samedi et dimanche de 11 à 19 heures.
Le Bistrot fait sa Broc', 1-3 rue Dumenge, 69004 Lyon.

Micro marché de noël

Mauretania et Connexions sélectionnés

Mauretania – Une traversée de Chris Reynolds et le premier tome de Connexions de Pierre Jeanneau figurent respectivement dans les sélections "Patrimoine" et "Officielle" du 48e festival d'Angoulême !

Sélection officielle Angoulême 2021

Souvenir de Colomiers

Souvenir du premier jour du festival de Colomiers 2019 : nous restons bloqués toute la journée sur une autoroute enneigée pendant qu'EMG, arrivé le matin en train, attend sur place. Alors, pour passer le temps, EMG dessine.
Hélas, pas de festival de Colomiers cette année… rendez-vous en 2021 ?

EMG, souvenir de Colomiers

Cliquer sur l'image pour agrandir

Disparaître, par Jérôme LeGlatin

Mauretania – Une traversée, par Chris Reynolds

« Chris Reynolds est l'auteur le plus sous-estimé des vingt dernières années. » Ainsi débutait le texte de Seth, paru en 2005 dans le Comics Journal. Je pourrais sans doute, aujourd'hui, prolonger et écrire : « Chris Reynolds est l'auteur le plus sous-estimé des trente-cinq dernières années. », si je croyais encore aux vertus de l'estime publique et à la réalité d'un temps objectif. Mais les bandes dessinées de Chris Reynolds, comme il en va des œuvres qui comptent, m'ont incité à penser et vivre autrement.

En 2005, je ne connaissais encore rien du travail de Reynolds, et les pages présentées en regard du texte de Seth, des damiers de neuf cases d'un noir et blanc intransigeant, aimantaient l’œil. S'y mariaient, d'un même geste incongru sinon impossible, une figuration naïve, désarmante, et une manière d'abstraction indécise. Quelque chose d'à la fois très doux et très déstabilisant, comme une invite.

Après avoir autopublié en Angleterre, entre 1985 et 1992, une série de fascicules agrafés intitulée Mauretania, Reynolds diffusait alors, par le biais d'un site d'impression à la demande, trois albums compilant une bonne partie de ces pages. Je les commandai. Un long récit — une incongruité chez un auteur habitué des formes courtes — intitulé lui aussi Mauretania, paru chez Penguin Books en 1990, était épuisé. Je le trouvai d'occasion.

Au même titre que ces objets, de facture pauvre et diffusés à la frange du marché, la discrétion est au cœur du travail de Chris Reynolds, au cœur d'une pratique que l'on devine patiente, au cœur des pages de bandes dessinées qu'elle produit. Cette discrétion, en rien alimentée par la modestie ou la timidité, est la proposition en acte d'une éthique de la disparition, d'une éthique du disparaître (insistons à en faire un acte et non une finalité).

Disparaître — en tant que rien ne disparaît jamais sans faire-retour. C'est ainsi que Chris Reynolds relate le mouvement double, pendulaire, de la mémoire et du corps, et de ce que chacun réserve de l'autre. Ce mouvement est celui du dessin, celui de la main pariétale qui s'appose sur une paroi, et puis s'en retire, laissant ainsi double trace, conjointe, trace d'elle-même et de sa disparition. Ce mouvement est aussi celui de la parole.

Et c'est aussi pourquoi Reynolds raconte des histoires, cet autre faire-retour, en développant depuis plus de trente ans une suite infinie de récits, aux personnages le plus souvent récurrents. Ces récits sont autant de machines fictionnelles, vraies-fausses pistes pourvoyeuses de chemins de traverse, raccourcis, cul-de-sacs, carrefours et déviations impromptues. En ces jeux d'orientation et désorientation sensibles, la fiction irrésistiblement dévie, se teinte des potentialités du récit autobiographique et de la relation onirique. Création du soi, expression des songes, deux modalités anciennes et puissantes de la voix et du devenir, agressivement corrompues par la modernité marchande et les illusions subjectives. Reynolds, déterminé à préserver et user de leurs puissances poétiques, les effleure par la bande, comme l'air de rien — repli de l'esprit et du corps, stratégie de la discrétion.

Chez Reynolds, la représentation, ce faire-retour du mot et de l'image, joue souvent d'effets de réduction, pour faire affleurer ce qu'elle dissimule ailleurs. La simplicité du vocabulaire, sans faire s'effondrer le discours, dévoile l'abîme pré-lingual (à la fois silence et cri) qui le sous-tend. Et c'est furtivement que les marqueurs temporels quêtent la disjonction mentale, irrémédiable, qui rejetant la cadence horlogère et l'asservissement causal, redonnerait enfin un pluriel au temps. Autant d'espaces, sensibles et subversifs, que découvre la langue de Reynolds, et dont le dessin, en son geste connexe, relève à-même les figures la carte abstraite, décèle l'extension figurale, ouvrant ainsi les possibles sensoriels à partir desquels la pensée peut délirer en douce.

La production, aussi parcellaire que pléthorique, de Chris Reynolds s'étale sur plus de trois décennies et laisse à chacun le soin d'emprunter son propre parcours. L'anthologie parue chez NYRC en 2018 en proposait un. Le recueil Mauretania – Une traversée, qui paraît le 19 juin chez Tanibis, et dont j'ai assuré la traduction, en emprunte un autre, sensiblement différent.

Chaque abord de Reynolds est un faire-retour spécifique, le tout premier compris.

Jérôme LeGlatin

 

Une première version de ce texte a été publiée en 2019 dans le no 8 de la revue Nicole. L'évocation par Seth des Mauretania Comics dans le Comics Journal peut être lue sur le site de Chris Reynolds.

Le combat ne fait que commencer

Tanibis est à vos côtés dans le monde d'après

Illustration Tristan Perreton

Covid-19 mon amour

[Mise à jour du 23/04/2020 : Les commandes passées sur notre boutique en ligne sont de nouveau traitées. Soyez patients cependant, les délais de livraison sont susceptibles d'être plus longs que d'habitude.]



Lectrices, lecteurs,

Nous sommes en guerre.
Notre division éditoriale se mobilise entièrement pour faire barrage à l'ennemi invisible.
Pour répondre à l'urgence de la situation, nous avons pris des dispositions fermes et radicales :

– L'annulation de la dédicace d'emg prévue aujourd'hui à la librairie Super-héros
La librairie Super-héros étant fermée jusqu'à nouvel ordre, emg restera chez lui et sa nouveauté La vague gelée restera gelée.

– La suspension de tous les commandes sur notre boutique en ligne
Des commandes peuvent toujours être passées sur notre site, mais celles-ci ne seront expédiées que lorsque la situation sera stabilisée.

– La mise à disposition en numérique d'ouvrages de notre catalogue
Pour éviter toute pénurie, nous allons réapprovisionner au cours des prochains jours notre bibliothèque numérique avec de nouveaux titres. Ces livres numériques, vous pourrez les lire en ligne, vous pourrez les télécharger, gratuitement ou à prix libre. Un nouveau titre sera mis à en ligne dès ce soir.

Puissent ces mesures exceptionnelles contribuer à la victoire.

Des jours meilleurs viendront où vous pourrez quitter vos abris, vous étreindre et vous ruer en librairies.


Gilbert Pinos
Éditeur en chef

La vague gelée, par emg

La vague gelée, par emg

Aujourd'hui en librairies :

La vague gelée

Nicolas Marlin, surfeur professionnel, traverse une passe difficile. Sa participation au contest de San Telmo, un spot qu'il déteste, s'avère encore une fois un désastre. Les vagues sont traîtresses, la chaleur étouffante, d'étranges manœuvres militaires ont lieu dans la baie – et pour couronner le tout, son grand-père, un personnage charismatique mais autoritaire, réapparaît après plusieurs années d'absence. La survenue d'une vague extraordinaire sera l'occasion pour Nicolas de se plonger littéralement dans sa mémoire et ses angoisses les plus profondes.

Jouant avec les codes du récit de surf et convoquant une esthétique rétro inspirée des jeux vidéos des années 1990, EMG réalise une œuvre surprenante, à la fois grave et légère, tenant autant du conte psychanalytique que de la série B.

Comme avec son premier album tremblez enfance Z46, emg propose un récit d'aventure trépidant et hors-norme qui explore les possibilités du dessin électronique. Il met ici au point une sorte de pointillisme 2.0 pour dépeindre les éléments déchaînés qui submergeront Nicolas Marlin.

Et vous, êtes-vous prêt à affronter la vague gelée ?

La vague gelée, extraits

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Evelyn Dalton-Hoyt, par D. J. Bryant

Sobre et de bon goût, la deuxième affiche de D. J. Bryant autour de son album Cité irréelle est disponible dans notre boutique en ligne.

Evelyn Dalton-Hoyt, affiche de D. J. Bryant

30 x 42 cm — Impression numérique fine art — Papier Turner non couché 300g
Premier tirage de 100 exemplaires, disponible — 10 € hors frais de port

Chilling, par Aurélien Maury

"Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."

Chilling, affiche d'Aurélien Maury

Zak Thunder, le héros de EGG, est de retour avec Chilling, nouvelle affiche signée Aurélien Maury.

Disponible dans notre boutique en ligne.

Chilling, affiche d'Aurélien Maury

30 x 42 cm — Impression numérique fine art — Papier Turner non couché 300g
100 exemplaires, disponible — 10 € hors frais de port

Entretien avec Alexandre Kha

Cette quête bizarre et sans fin

En 2019, l'univers d'Alexandre Kha est plus que jamais en expansion : de retour en mai dernier avec Le sortilège de la femme-automate, troisième tome d'une série de contes fantastiques initiée par Les monstres aux pieds d'argile et Les nuits rouges du théâtre d'épouvante, l'auteur stéphanois fait également paraître Le théorème funeste, narrant l'histoire du théorème de Fermat, mais aussi Les chroniques d'Oneiros (illustrations pour un texte d'Édouard K Dive, chez le micro-éditeur L'atelier 15) ainsi que plusieurs reportages dessinés pour la revue Topo.
Entretien réalisé par e-mail entre mai et septembre 2019.

Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

Tanibis : Depuis quand dessines-tu ?

Alexandre Kha : Depuis que je sais tenir un crayon. La plupart des enfants abandonnent la pratique du dessin assez vite. Je fais partie de ceux qui poursuivent cette quête bizarre et sans fin.

T. : Qu'est-ce qui t'a amené à raconter des histoires en bande dessinée ?

A. K. : Autant que je m’en souvienne, c’est la bande dessinée qui s’est présentée à moi – et non l’inverse. Des cousins plus âgés m’avaient légué des magazines de BD. Ils s’en étaient probablement servis pour se battre entre eux car les pages étaient dans un état lamentable. Elles se détachaient, les récits étaient lacunaires et dispersés mais j’aimais bien reconstituer la carte de cette géographie narrative. Dans le journal de Spirou, j’avais une prédilection pour Maurice Tillieux. Il y avait chez lui un ton un peu décalé, il dilatait des scènes muettes, créait des atmosphères et des personnages singuliers… Il y avait aussi quelques numéros de Strange. Des histoires de Spiderman, signés Stan Lee et Steve Ditko, avec les expériences du docteur Connors qui se métamorphosait en lézard et se maudissait de ne plus rien contrôler. Bref, j’étais contaminé. Ces revues déchirées constituaient mon seul trésor. Je ne l’aurais partagé pour rien au monde. Donc à dix ans, j’ai pris mes crayons pour explorer à ma façon ce territoire, car la bande dessinée était un monde à parcourir avant tout (et peut-être aussi pourquoi, aujourd’hui encore, mes personnages sont d’infatigables marcheurs). Puis j’ai tout arrêté à l’adolescence. Je préférais lire des romans et voir des films. Bien plus tard, au début des années 2000, j’ai découvert une bande dessinée au style minimaliste, une porte ouverte sur un nouvel horizon : Les sept vies du dévoreur d’ombres de Jean-Pierre Duffour. Ce fut un déclic. J’ai ressorti mes crayons.

Souvenirs de poche, par Alexandre Kha

T. : Es-tu autodidacte ?

A. K. : Oui, je n’ai jamais reçu le moindre enseignement artistique. Se former en regardant ce que font les autres est peut-être la meilleure école. J’ai d’ailleurs une approche assez composite du dessin. Mais j’ai eu peu l’occasion d’échanger avec d’autres dessinateurs et le monde de la BD me semble parfois aussi éloigné que la planète Altaïr IV.

T. : Quel a été le point de départ du Sortilège de la femme-automate ? T'es-tu inspiré d'œuvres cinématographiques ou littéraires ?

A. K. : Le point de départ est l’histoire vraie du Turc mécanique, un automate qui jouait aux échecs, exposé en public. C’était une supercherie : un vrai joueur était dissimulé à l’intérieur. Le mystère fut longtemps préservé. Des écrivains comme Edgar Poe ou Ambrose Bierce émettaient des hypothèses en laissant courir leur imagination. Pour étoffer les personnages, j’ai pensé au Coppélia d’Hoffmann et au Maître Zacharius de Jules Verne.

Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

T. : Le thème de « l'homme-machine » fascine depuis longtemps mais il est particulièrement d'actualité, notamment avec les débats suscités par les mouvements transhumanistes. En racontant l'histoire d'une femme-automate, souhaites-tu amener le lecteur à y réfléchir ?

A. K. : Pas particulièrement. Mes livres sont à l’image des vieilles séries TV. Je cherche avant tout à distraire le lecteur. Une question se pose tout de même dans le livre : des machines intelligentes et sophistiquées, bénéficiant de nos expériences, seront-elles un jour plus performantes que nous ? Il n’est pas impossible d’imaginer qu’elles joueront un rôle important et rejoindront l’humain sur bien des registres, y compris celui de l’imagination et de l’émotion. Notre civilisation est périssable. Et nous inventons peut-être ces machines autant pour accomplir les tâches domestiques à notre place que pour assurer notre descendance.

Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

T. : Parmi les personnages secondaires, l’homme-iguane ressemble à Iggy Pop. Et son comparse, l’homme-caméléon, pourrait bien être David Bowie. Comment sont-ils devenus des personnages ?

A. K. : Un article sur leur escapade berlinoise dans les années 1970 m’a inspiré la scène de la balade avec la femme-automate. Cela n’allait pas plus loin. Malgré une référence discrète à la chanson The Passenger, mon homme-iguane reste éloigné du vrai Iggy Pop.

T. : Comment t’est venue l’idée de traiter les séquences où le présentateur raconte le passé d’Olympia en ombres chinoises ?

A. K. : Il me paraissait important d’évoquer les multiples vies de cette automate vieille de deux siècles. Plutôt qu’un traitement conventionnel en flash-backs, l’idée de raconter son histoire sous la forme d’un spectacle me parut plus originale et plus logique, surtout dans une foire aux Freaks où tout est mis en scène. Et les ombres chinoises était une manière plus élégante, plus épurée de transmettre ces informations tout en suggérant ce lointain passé.

T. : Dans la plupart de tes livres, le cadre géographique de tes intrigues, mais aussi leur époque, sont difficiles à déterminer. Est-ce pour renforcer la sensation d'irréalité qui se dégage des albums ?

A. K. : Ce n’était pas conscient au départ, et plutôt le résultat d’une absence de rigueur, mais il y a effectivement un mélange hétéroclite. Assez vite, cette impression d’incertitude m’a paru intéressante. Je suppose que j’ai essayé d’en tirer parti pour souligner l’aspect onirique des histoires. Dans les rêves, on passe facilement d’un décor à l’autre. Tout s'enchevêtre sans logique apparente, avec des sensations plus évocatrices que dans la réalité. Par ailleurs, certains de mes décors existent. Et mes personnages peuvent, en quelques pages, quitter le cimetière du Père-Lachaise à Paris pour se rendre dans une rue portuaire de Baltimore après avoir emprunté le tramway qui longe le bord de mer à Ostende.

Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

T. : Dans Les nuits rouges du théâtre d’épouvante, le théâtre s’inspire de celui du Grand-Guignol qui se situait rue Chaptal à Paris. Pourquoi l’avoir délocalisé ?

A. K. : Pour moi, le grand-guignol est un genre avant tout. L’impasse Chaptal aurait pu convenir en accentuant son aspect coupe-gorge mais j'avais une préférence pour un théâtre au sommet d'une falaise : l’isolement du lieu me semblait propice à la création d’un monde fantastique résolument à part.

T. : La violence artificielle et démonstrative mise en scène sur les planches du théâtre d’épouvante ne dissimulerait-elle pas une tension plus glaçante entre les acteurs de la troupe, comme une sorte de vaudeville tragique et gothique ?

A. K. : Cette violence artificielle sur la scène du théâtre est très grand-guignolesque, justement, voire un peu ridicule. En un sens, oui, elle cache la tension qui se trame en coulisses. Parfois, elle s'en fait l'écho. Ce glissement de la fiction vers une réalité toute aussi tragique est un des thèmes du livre.

Les nuits rouges du théâtre d'épouvante, par Alexandre Kha

T. : Les nuits rouges du théâtre d’épouvante appartient à un genre très codifié. Parmi les figures qui l’incarnent et qui auraient pu t'influencer, on songe à Tim Burton, Edward Gorey, Roger Corman ou encore aux comics Tales from the crypt

A. K. : Tim Burton, non. Edward Gorey davantage, il a influencé beaucoup de monde d’ailleurs, à commencer par Tim Burton. Sinon, je ne connais pas vraiment les comics Tales from the crypt. Mes références étaient plus théâtrales, avec le répertoire du grand-guignol. Et cinématographiques, avec les films de Roger Corman, bien sûr, mais aussi de Jean Rollin, Dario Argento et Jean Marbœuf. Il y avait aussi un film très étrange, Carnival of souls d'Herk Harvey.

Les nuits rouges du théâtre d'épouvante, par Alexandre Kha

T. : Tes personnages sont souvent des marginaux. Leur monstruosité ou leur mode de vie les réunit parfois. D'où te vient cette fascination pour la marginalité ?

A. K. : Sans doute la part de l’inconnu qu’il y a en chacun de nous. C’est une porte ouverte sur la découverte. Les marginaux sont des catalyseurs. Ils sont aussi plus intrigants, plus captivants. Quant à la monstruosité, chez moi, c'est assez irréel. La difformité physique pour elle-même ne m'intéresse pas. Dans l'ensemble, beaucoup de mes personnages sont des archétypes. Ce sont des figures littéraires avec des caractéristiques très marquées. Je ne suis pas sûr qu'on rencontre beaucoup d'épouvantails ou d'hommes sans tête dans la vie. J'aime bien qu'un personnage soit l'incarnation d'une idée. Ainsi l'épouvantail représente la peur, le loup-garou l'instinct bestial, etc. Quitte à prolonger cette idée par un détail graphique.

T. : Peux-tu nous en dire plus au sujet de ton utilisation particulière de la bichromie pour les trois livres ?

A. K. : Les monstres aux pieds d'argile bénéficie d’une ambiance vert néon liée au décor urbain où déambulent les personnages. Les nuits rouges du théâtre d'épouvante est évidemment rouge pour évoquer la violence et l’effroi. Et là, j’avais des partis pris. Pour les scènes de représentations théâtrales, par exemple, les cases sont entièrement rouges à cause des ampoules peintes avec cette couleur pour accentuer l’atmosphère agressive, ce qui était vraiment le cas au Grand-Guignol. J’utilisais aussi quelques effets inversés pour mettre en valeur l'aspect onirique : le sang n'est pas rouge mais noir et le ciel nocturne, au contraire, n’est pas noir mais rouge. Pour Le sortilège de la femme-automate, j’ai choisi une teinte bleu-grise, un peu métallisée, généralement associée à la robotique. Pas très original mais cette demi-teinte assez douce me paraissait convenir aux dérives rêveuses des personnages.

Les monstres aux pieds d'argile, par Alexandre Kha

T. : Tu as fait trois livres d’images légendées. Peux-tu nous dire en quoi ce travail diffère-t-il de tes travaux de bandes dessinées ?

A. K. : La narration y est plus essentielle et plus allusive à la fois. C’est une approche apparemment plus littéraire qu’en bande dessinée mais, de toute façon, je considère la bande dessinée plus proche de la littérature que du cinéma ou des arts picturaux. J’aimerais faire davantage de livres d’images légendées. C’est un genre peu courant malgré de très bons exemples comme La véridique histoire des compteurs à air de Cardon ou Marcellin Caillou de Sempé.

T. : Tu utilises des techniques de dessin très variées. Sont-elles imposées par chaque projet ou est-ce juste un besoin de se renouveler ?

A. K. : Chaque projet détermine son propre style de dessin. Pour L'attrapeur d'images, il était en aquarelle et en noir et blanc pour mettre en valeur l’éclairage et ressembler à de vieilles photos. Aujourd’hui, je privilégie le feutre pour des questions de rapidité. Le travail sur ordinateur se limite à la couleur. J’ai besoin du contact avec le papier. J’aime les aspérités d’un trait, les petits effets de tremblement. Même si le trait semble propre, il ne l’est jamais tout à fait. Comme dans la vie où rien n'est parfaitement net.

L'attrapeur d'images, par Alexandre Kha

T. : Nous venons de sortir un petit album intitulé Le théorème funeste. Peux-tu nous parler de sa genèse ?

A. K. : Au départ, il s’agissait d’une courte histoire publiée dans la revue Rhinocéros contre éléphant. Malgré mon ignorance en mathématiques, j’avais conservé un article sur la démonstration de ce théorème qui était resté un mystère durant des siècles et qui était une vraie aventure. Puisqu’il me restait des choses à raconter, j’ai eu l’idée de publier cette histoire sous la forme d’un livret augmenté de quelques pages. Son tirage était très limité mais il a suscité un certain intérêt. Après la quatrième édition, nous avons décidé d’en faire un vrai livre.

Le théorème funeste, par Alexandre Kha

T. : Le thème des mathématiques pourrait sembler a priori éloigné de ton univers. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans l’histoire du théorème de Fermat ?

A. K. : L’incroyable aventure intellectuelle et humaine qui s’est déroulée sur quatre siècles. Et le champ infini des mathématiques, domaine de logique pure où l’imagination joue malgré tout un rôle pour édifier des structures mentales. Car les mathématiques se retrouvent partout. Enfin, il y a aussi l’idée que les recherches d’Andrew Wiles sur le théorème de Fermat étaient pour lui un rêve d’enfant.

T. : Parallèlement à tes contes fantastiques, tu réalises des reportages dessinés pour la revue Topo. Cela doit être une façon très différente pour toi d’aborder la BD ?

A. K. : Pas tant que ça, finalement. Chez moi, le fantastique et le réel sont liés. Dans mes histoires imaginaires, il y a souvent une partie documentaire. Les récits des Monstres aux pieds d’argile sont construits comme des témoignages. Inversement, la réalité est parfois étrange. Par exemple, ma BD reportage sur la langue des signes : en racontant ce qui nous détermine à travers le langage, elle décrit l’univers d’enfants sourds qui peut sembler insolite à bien des égards pour le lecteur entendant.

La langue des signes, par Alexandre Kha

T. : D’ailleurs, on peut se demander à quel point les thématiques sociétales peuvent nourrir ton travail. Dans Le sortilège de la femme-automate, les médias évoquent une population effrayée par la présence de monstres en périphérie. Cela rappelle un certain discours anxiogène sur le phénomène des migrants…

A. K. : Les migrants ne sont évidemment pas monstrueux mais les circonstances le sont. Pour la scène en question, ce n’était pas intentionnel. Peut-être la phobie ambiante m’a-t-elle influencée. La réalité est plus forte que l’imagination. Surtout quand la réalité dépasse l’entendement et crée des situations insensées.

T. : Certains de tes travaux déjà publiés sont disponibles sur internet. C’est assez rare chez les auteurs de BD…

A. K. : La mise en libre accès sur internet n’est pas un problème pour moi. L'attrapeur d'images est téléchargeable sur le site de Tanibis[1] depuis longtemps et le livre a continué à se vendre jusqu’au dernier exemplaire. Il sera peut-être réimprimé un jour mais, en attendant, il peut continuer à être lu, même sous un autre support. À long terme, de manière générale, un fichier PDF de bonne qualité est toujours intéressant pour l’archive. Il faut bien être conscient que la plupart des ouvrages ne seront jamais réédités.

L'attrapeur d'images, par Alexandre Kha

T. : Parallèlement à tes albums, tu mènes des projets de microédition avec l'Atelier 15. Cette alternance te permet-elle de te ressourcer ?

A. K. : Oui, c'est une façon de retourner à des choses plus essentielles avec des récits expérimentaux. Petits tirages, public confidentiel : ce sont des bouteilles jetées à la mer. Dans mes albums, le dessin est assujetti à l’histoire, c’est très maîtrisé. Avec mes petites publications artisanales, j’aimerais au contraire affranchir mon dessin des contraintes du récit, qu’il soit comme un chien fou qui se libère de ses chaînes.

T. : Quels sont tes projets ?

A. K. : Un roman graphique sur le thème de Faust. J’ai beaucoup d’histoires qui dorment sur mes étagères mais c’est long à dessiner. J’aimerais consacrer plus de temps à la bande dessinée. C’est impossible pour des raisons tristement économiques. Et je sais déjà que je ne réaliserai pas un dixième de mes projets.

Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

Notes

Echoes into eternity, par D. J. Bryant

Première d'une série de cinq affiches de D. J. Bryant autour de son album Cité irréelle. Disponible dans notre boutique en ligne.

Echoes into eternity, affiche de D.J. Bryant

30 x 42 cm — Impression numérique fine art — Papier Turner non couché 300g
100 exemplaires, disponible — 10 € hors frais de port

Cité irréelle, par D. J. Bryant

Aujourd'hui en librairies :

Cité irréelle

Cité irréelle rassemble cinq histoires dans lesquelles il est question de passion et de haine, d’amour et de cruauté, d’hommes et de femmes jouant au chat et à la souris ; cinq histoires déstabilisantes où, comme dans un film de David Lynch, les apparences sont souvent trompeuses.

L’auteur prend un malin plaisir à plonger ses personnages tourmentés dans un univers mouvant et plein de chausse-trappes. Il met en œuvre des structures narratives sophistiquées pour retranscrire leurs émotions, complexes et parfois contradictoires. Il construit l'un des récits comme un ruban de Mœbius, donne à un autre une structure en miroir. Alternant les points de vue et multipliant les faux-semblants, l’auteur fait vaciller nos repères.

Le dessin de Cité irréelle impressionne par sa finesse, sa précision et sa diversité. Il n’est pas sans rappeler celui de Daniel Clowes, mais aussi celui des maîtres du comic book classique comme Steve Ditko ou encore des cartoons Hanna-Barbera.

Cité irréelle est le premier livre de l’auteur américain D. J. Bryant, diplômé de l’Art Institute de Seattle quelques jours après les attaques du 11 septembre. L’auteur aime également préciser dans ses entretiens qu’il dessinait la dernière page du livre au moment de l’élection de Donald Trump. Une manière de souligner que, dans le monde réel comme dans la Cité irréelle, l’avenir n’est jamais assuré.

Cité irréelle, extraits

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Le Safari de Lyon BD 2019

Toute l'équipe de Tanibis est parée pour le Safari de Lyon BD qui se tiendra ce week-end !

Safari Lyon Bd

Nouveautés numériques

Mise en ligne dans notre bibliothèque numérique de deux récits dessinés d'Alexandre Kha initialement parus en 2007 : Les mangeurs d'absolu et Souvenirs de poche.

Les mangeurs d'absolu, par Alexandre Kha

Tanibis Channel : Post-it n°13

La confiance et la fidélité de nos auteurs font notre fierté !

Tanibis Channel : Post-it

Tanibis Channel est une production des Studios TanibisTM.

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Tanibis Channel : Post-it n°12

Pas si facile de décrocher un stage chez Tanibis !

Tanibis Channel : Post-it

Tanibis Channel est une production des Studios TanibisTM.

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Tanibis Channel : Post-it n°11

Notre nouvelle stratégie commerciale : Investir tous les marketplaces pour une expérience d'achat enrichie.

Tanibis Channel : Post-it

Tanibis Channel est une production des Studios TanibisTM.

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Le sortilège de la femme-automate, par Alexandre Kha

Aujourd'hui en librairie :

Le sortilège de la femme-automate

Les monstres fragiles et les rescapés des nuits rouges se sont trouvés un sanctuaire aux abords de la ville… Après Les monstres aux pieds d’argile et Les nuits rouges du théâtre d’épouvante, Alexandre Kha propose une nouvelle plongée dans son bestiaire fantastique, prenant cette fois-ci comme cadre une « foire aux freaks ». Olympia, femme-automate inventée par un certain Zacharius, en est une des attractions principales. Arthur Grisham, le bibliothécaire adepte du bizarre, y entraîne son ami Antoine. Ce dernier tentera de percer les secrets de l’automate au risque de tomber amoureux…

Olympia est une version féminisée du fameux automate joueur d’échecs du baron von Kempelen qui fascina l’Europe aux XVIIIe et XIXe siècles. Cette « Ève future » continue ici ses tournées loin des cours luxueuses, au milieu des losers, junkies, savants fous et autres marginaux de tout poil. Entre les représentations, elle approfondit son libre-arbitre et son exploration de l’humanité, interrogeant les sentiments et l’identité du pauvre Antoine.

Entrecoupant le récit principal d’intermèdes en ombres chinoises sur le passé d’Olympia, ce conte nous fait naviguer dans un jeu de citations luxuriant, éclectique comme un cabinet de curiosités, le petit monde d’Alexandre Kha faisant aussi bien écho à la pop culture (on croise le duo Iggy Pop-David Bowie) qu’à la littérature fantastique du XIXe d’E.T.A. Hoffmann ou de Jules Verne, en passant par la science-fiction de Philip K. Dick.

Le sortilège de la femme-automate, extraits

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Tanibis Channel : Post-it n°10

Même les plus grands éditeurs font parfois de petites erreurs…

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Tanibis Channel : Post-it n°9

Gilbert Pinos, éditeur au sommet.

Tanibis Channel : Post-it

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